4 octobre 2005

Droit d'auteur

Vive les oeuvres libres!
Texte paru dans La Presse, mardi le 19 juillet 2005 sous la plume de Nicolas Ritoux

Pour Richard Stallman, un logiciel ne vaut pas plus qu'une recette de cuisine ou qu'une carte du métro. Les gens devraient pouvoir obtenir, modifier et reproduire librement ces outils. C'est la philosophie qu'il a mise de l'avant dès 1984 en fondant le mouvement du «logiciel libre», sans lequel les ordinateurs et Internet ne seraient pas ce qu'ils sont aujourd'hui.

À l'époque, l'ordinateur familial n'existait pas, on ne se rencontrait pas sur Internet, on s'écrivait des lettres en papier et on achetait sa pornographie au dépanneur. Mais ce que les éditeurs de logiciels avaient déjà compris, c'est qu'ils pourraient s'enrichir grassement en apposant à leurs produits un système de droit d'auteur similaire à celui du livre.

Révolté, le jeune Richard Stallman a alors décidé de briser ce qu'il voyait comme une barrière à la diffusion de la connaissance en créant une licence qui laisserait l'utilisateur modifier et recopier les logiciels à sa guise.

Aujourd'hui, son système d'exploitation, GNU, est un composant essentiel du système Linux, qui équipe 20 millions d'ordinateurs dans le monde. La licence qu'il a créée a multiplié le potentiel de bien des innovations, de Netscape à Google en passant par Quake.

Fort de sa stature dans le domaine du logiciel, M. Stallman est venu au début du mois à l'UQAM pour partager sa vision du droit d'auteur, non seulement en ce qui concerne l'informatique, mais aussi dans les autres types d'oeuvres, qu'il s'agisse de livres, de cinéma ou de musique. Son éclairage est bienvenu, puisque Ottawa prépare un projet de loi (C-60) qui devrait bientôt chambouler tous ces domaines en adaptant le droit d'auteur à l'ère numérique.


Un éclairage nouveau

«À l'origine, le droit d'auteur a été créé dans plusieurs pays pour instaurer une régulation industrielle aux éditeurs de livres. C'étaient eux qui étaient restreints par le droit d'auteur, et pas le public», dit-il en référence à la sévérité prônée par certains quant au partage de musique ou de films sur Internet.

«Dans ce temps-là, le public n'avait pas le moyen de copier les oeuvres à grande échelle. Aujourd'hui, des millions de personnes peuvent le faire. La situation économique qui rendait avantageux le droit d'auteur a changé. Il est devenu une barrière aux besoins du public et il transforme beaucoup d'utilisateurs en criminels. C'est vrai qu'il faut adapter le droit d'auteur à notre époque, mais on ne va pas forcément dans la bonne direction.»

«Aujourd'hui aux États-Unis, le gouvernement est très influencé par les entreprises. Les lois se vendent. On a donc modifié le droit d'auteur dans l'intérêt des éditeurs, en renforçant son ampleur et sa durée dans le temps.»

La solution face à cette situation, c'est d'assouplir le droit d'auteur au lieu de le renforcer, selon M. Stallman. Devant un amphithéâtre plein à craquer d'admirateurs (venus aussi pour le lancement de la Semaine québécoise de l'informatique libre, qui aura lieu du 12 au 20 novembre prochains), le père du logiciel libre a présenté ses «propositions» pour modifier le droit d'auteur.

Pas plus de 10 ans

D'abord, Richard Stallman a proposé de réduire à 10 ans la durée du droit d'auteur. «Dans l'édition, par exemple, la plupart des livres sont discontinués au bout d'un an et introuvables après trois ans. À part les auteurs riches et célèbres, tous ont avantage à laisser le public reproduire leurs oeuvres après quelques années, pour qu'elles continuent à exister.»

«Les éditeurs nous montrent l'exemple des auteurs à succès pour défendre le droit d'auteur sous sa forme actuelle. Mais ils sont une petite exception, et ils ont le pouvoir de négocier leurs contrats de toute façon.»

Dix ans, c'est bien loin de ce que veulent les géants du divertissement comme Disney, qui se bat pour conserver l'exclusivité de personnages créés dans les années 30.

«Le droit d'auteur ne concerne pas une idée, mais l'application d'une idée, rappelle M. Stallman. C'est l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) qui a déclenché cette confusion en mélangeant des oeuvres et des brevets sous le concept commun de la propriété intellectuelle. Le droit d'auteur n'est pas une propriété; le premier défaut de l'OMPI, c'est son nom.»

Inutile de demander à M. Stallman ce qu'il pense du projet de loi C-60, qui doit justement ratifier les accords de l'OMPI signés en 1996...

Trois types d'oeuvres

Selon Richard Stallman, il faudrait idéalement distinguer trois types d'oeuvres ayant chacune leur droit d'auteur spécifique.

Il y a d'abord les oeuvres «d'utilisation pratique» comme les logiciels, mais aussi les ouvrages de référence, les cartes ou les livres destinés à l'enseignement. Selon Stallman, toutes devraient pouvoir être modifiées et distribuées librement, comme le sont les recettes de cuisine.

«L'encyclopédie Wikipedia.org a été bâtie sur ce principe: ce sont les lecteurs eux-mêmes qui la rédigent, la modifient et la révisent, et elle est devenue la plus vaste encyclopédie du monde.»

Dans une deuxième catégorie, on trouverait les oeuvres qui «reflètent la pensée de quelqu'un»: essais d'opinion, articles scientifiques, mémoires, etc. Puisque modifier de telles oeuvres «n'est pas utile pour la société», M. Stallman propose d'autoriser seulement «le droit à la distribution non commerciale de copies exactes».

Enfin, le cas des oeuvres «d'art et de divertissement» pose un défi, selon M. Stallman, puisque leur modification peut «détruire leur intégrité artistique». D'un autre côté, il faut respecter «le processus folklorique de modification» qui, rappelle-t-il, a permis à Shakespeare d'écrire des pièces mémorables d'une façon qui serait illégale aujourd'hui.

Un «droit d'auteur de compromis» permettrait alors aux artistes d'autoriser la distribution non commerciale de copies exactes de leurs oeuvres pendant 10 ans, puis celle de versions modifiées par la suite.

Le partage de musique devrait donc être autorisé? «Il n'y a aucune raison de l'interdire; pas seulement parce que le public veut y avoir accès- ce qui serait une raison suffisante en soi - mais aussi parce que le partage de la culture est une bonne chose pour la société.»

«Quant aux musiciens, ils ne touchent pas un sou sur leurs disques de toute façon. À l'exception de rares célébrités, ils ne gagnent de l'argent qu'avec les concerts. Si la musique circule librement, ça fait de la promotion pour leurs concerts.»

Comme vous l'aurez compris, il n'est jamais question pour Richard Stallman d'interdire les copies d'une oeuvre, qu'il s'agisse d'une recette de cuisine, d'une thèse de doctorat ou d'un album rock. Une position certes radicale, mais qu'il a appliquée avec beaucoup de succès dans le monde du logiciel. En cela, ses propos ne pourront laisser personne indifférent.